Une main aux doigts raides vint secouer le jeune homme qui dormait encore. Marmonnant en se réveillant péniblement, Yuu battit des paupières pour finalement poser son regard sur son réveil particulier: sa grand-mère Misoka qui l'observait avec un grand sourire. Il dormait en petite tenue sur son futon malgré la fraîcheur de la saison aussi la vieille femme quitta-t-elle la pièce, par respect pour son anatomie, après avoir prié son petit-fils de se dépêcher de descendre. Marmonnant encore une fois, Yuu se frotta la tête dans un geste peu élégant et bailla à s'en décrocher la mâchoire. Il avait passé toute la soirée précédente à préparer ses affaires qui s'entassaient maintenant, et aux prix des gros efforts qui expliquaient sa fatigue, dans une valise aussi lourde que lui; ou presque.
Il se leva en s'étirant avec précaution puis enfila simplement la veste d'un kimono d'hiver avant de rejoindre la cuisine. Seule sa grand-mère était debout à cette heure: 5:00. Baillant encore une fois devant ce constat affligeant, marmonnant contre le trajet qu'il allait devoir faire et qui le forçait à ce réveil plus matinal que d'habitude, Yuu s'accroupit enfin devant son petit-déjeuner: un bol de chocolat chaud, son petit plaisir, des gâteaux aux céréales complètes, pour tenir jusqu'à midi, un verre d'eau, pour le bien du corps, et enfin une pomme, essentielle pour faire passer sa fatigue de la veille.
-Itadakimasu! Obaa-chan t'es la meilleure! J'adore tes repas, le matin le midi le soir... tout le temps!! ^____^
-Moi aussi je t'adore mon Yuu-chan!
-Obaa-chan m'appelle plus comme ça, je suis grand tu sais!
-Je sais mon petit, mais tu es toujours l'enfant adorable que j'ai vu grandir, n'est-ce pas?
-Oui c'est vrai ^^ Mais maintenant que je vais au lycée tu veux bien arrêter Obaa-chan?
-Je ferais attention que cela ne soit qu'entre nous, d'accord? ^^
-Mmh... D'accord Obaa-chan! ^___^
-Mange maintenant, Yuu-chan!
-Oui Obaa-chan... ^____^
Heureux comme un gamin qui va à l'école pour la première fois, Yuuyami était cependant stressé et n'en avait pas moins pleuré une partie de la nuit. Observant du coin de l'œil son petit fils, Misoka se demanda pour la énième fois si elle avait fait le bon choix pour son avenir. L'envoyer loin de la famille mais surtout de son père pouvait faire du bien à Yuu mais en même temps elle savait qu'il avait toujours eu uniquement sa famille, particulièrement elle et sa sœur, aussi il lui semblait encore difficile de savoir si le jeune homme s'en sortirait vraiment. Celui-ci, pour des yeux non-avertis ne laissait rien paraître de son trouble, mais la légère raideur de ses mouvements trahissait son état d'anxiété avancé au regard de la vieille femme. La grand-mère débarrassa ses plats et l'envoya à la douche.
L'eau chaude ruisselant sur son corps lui fit du bien et il joua quelques minutes avec la mousse qu'il créait sur sa peau. Une façon un peu gamine de passer son stress. Il se prépara ensuite avec soin. Ses vêtements avaient été choisis la veille et il se coiffa avec attention, la raie sur le côté, la frange maîtrisée, les mèches domptées... enfin prêt il retourna dans sa chambre pour dire au revoir aux affaires qu'il n'emmenait pas, mais surtout aux lieux en eux-même. Quelques minutes plus tard, préférant écourter cela au lieu de craquer et de pleurer la perte de toute une vie d'habitudes, Yuu descendit ses affaires sur le palier. Le temps menaçait de tourner à la pluie et il ne faisait pas chaud. Sa grand-mère avait appelé un taxi et lui laissait de l'argent dont beaucoup en trop pour payer le chauffeur. Puis elle le prit dans ses bras, il était obligé de se baisser pour faire de même.
-Mon petit Yuu... Tu vas beaucoup me manquer!
-Tu vas me manquer aussi Obaa-chan!
-Ne retiens pas tes larmes mon grand! Contrairement à ce que l'on croit, pleurer, ça fait du bien, et c'est nécessaire à l'équilibre de l'esprit. Alors pleure.
-Oui Obaa-chan...
Il pleurait déjà et mouillait les cheveux gris clair tirés en un chignon sévère de la vieille femme.
-On s'appellera mon petit, maintenant vas-y! Courage! Nous sommes avec toi!
-Oui, d'accord. Merci Obaa-chan!
-Avec plaisir mon grand, sauve-toi!
-Oui!
Il lui fit un grand sourire plein de courage et monta à l'arrière de la voiture. Un dernier signe de la main et le taxi tourna au bout de la rue. Yuuyami laissa alors les larmes le submerger, heureux de n'être pas monté devant. Il pleura une bonne partie du trajet mais se ressaisit ensuite. Sa sœur et sa grand-mère comptaient sur lui, ses parents ne devaient pas être déçus d'avoir accepté son choix de carrière, et de toute façon le lycée ne poussait pas forcément les gens à faire de leurs activités leur métier futur, il pouvait toujours faire autre chose! Rassuré par ces pensées il arriva enfin près du lycée. Une allée bordée de verdure mais surtout bondée le menait aux portes de l'internat. La pluie s'était mise à tomber en quittant Tokyo mais Yuu n'avait rien contre elle tant qu'elle n'abîmait pas ses cheveux. En revanche le monde lui faisait peur, aussi il resta un peu trop longtemps dans la voiture et le chauffeur rappela son existence à son client. Yuu s'excusa et sortit de la voiture une boule dans la gorge.
Il sortit sa valise haute d'un mètre et large de 40cm avec difficulté mais y parvint en peu de temps, il en tira un parapluie transparent qu'il ouvrit au-dessus de lui. Il paya alors le chauffeur en s'excusant une nouvelle fois, un regard de mépris lui répondit. Être un homme, pleurer et avoir peur, c'était décidément très mal vu. La journée du jeune lycéen commençait mal. Le taxi partit et il se décida à laisser cela de côté: les gens qu'il allait rencontrer avaient à peu près son âge et avec un peu de chance il en verrait qui pensent la même chose que lui. Souriant timidement à cette autre épreuve qu'il devrait affronter Yuu se dirigea non sans tenter de se cacher derrière d'autres élèves face aux « fans » qui s'extasiaient sans qu'il ne comprenne pourquoi. Près des portes il leva la tête en serrant fort la poignée télescopique de sa valise. Les élèves semblaient tous savoir où aller mais lui hésitait. Ayant peur de gêner et le temps de réfléchir ou d'avoir le courage de demander son chemin à quelqu'un il se cala contre un mur et souffla un peu. La boule de sa gorge était descendue dans son estomac et il se demandait s'il n'allait pas rendre son petit-déjeuner avec tout ce monde.